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Mirages

De ce monde qui s'objective par l'usage méthodiquement quantifié de l'illusion marchande, tétanisé par l'unique ressort de la compétition internationale, de ce monde délibérément fragmenté et utilisé jusqu'à la folie dans ses antiques divisions, la guerre cristallise une totalité dualiste.

Les temps du manichéisme sont appelés pour mieux gérer le temps du Capital.

Sur tout ce que ne peut maîtriser en temps de paix sa propre logique, la guerre se projette comme transcendance et subjuge toutes les raisons d'agir dans la paix.

L'inflation des métaphores techniques, chirurgicales, donnant l'effet pour la cause, le corps du langage n'est plus que celui qui vaut en chair à canon, marche ou crève, actes et actions cotées en Bourse.

L'extrême sophistication de la technicité ne masque pas longtemps l'allure innommable de phénomène «surnaturel» lié à la guerre pour transfigurer les misères de la mort.

Si l'homme a conquis la nature en la nommant, il use d'elle aujourd'hui comme d'une arme pour affirmer l'inqualifiable de sa propre nature. Ainsi s'abandonne-t-il à l'urgence de se nommer, de reconnaître son camp: islam, onu, chrétienté, droit intemationnal, judaïsme, terres saintes, patries, Propriété...

Mais le «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» impose des conditions. S'inscrire et exister dans le cadre des ségrégations frontalières offrira-t-il aux survivants d'autres ressources que celle de leur aliénation par l'économie dominante, d'autre dignité que la censure de leurs souffrances, d'autre perspective que celle d'une bombe explosant au coeur de leur sens moral ?

L'abject usage psychologique qui est fait de la quantification des morts, et la secrète jubilation que procure une belle disproportion qui fonde le «civilisé» et condamne le «barbare» n'est que le prélude aux évaluations que font déjà les promoteurs et bénéficiaires de l'état des choses et des lieux, dès qu'il leur seront disponibles, et ne laisse aucun doute quant aux développements de leur appropriation.

Pour stopper la machine sociale et machiniste engagée dans la destruction de ce qui ralentit son progrès, qui n'a que faire du détail de la guerre ou de la paix,

Pour en finir avec le jeu des têtes sans corps qui ne fonctionnent qu'avec le corps des autres,

Comment affirmer ce qu'elles nient ?

Une idée de l'homme qui rende à chacun la possession de sa tête et son entière verticalité.

Une idée de l'être qui ouvre la porte à toutes ses facultés et à leur libre jeu entre elles.

Comment cesser de se laisser mener par la peur, par la concentration et l'exploitation de cette peur?

Assez de tous les refuges de la bonne conscience et de l'esprit de clocher.

Assez de déléguer sa volonté aux structures verticales sujettes à tous les vertiges du nombre.

Pour que cela soit dit et agi dans la rue, demain, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, il faut, par écart absolu, inventer des structures aussi horizontales que possible, aussi originales et diverses qu'on voudra, mais avant tout aptes à tisser entre elles ces liens qui gisent, épuisés par les siècles, au sol de tout ce qui se prétend encore civilisation et susceptibles de ruiner, comme de vulgaires murs de Berlin, toutes frontières physiques, mentales et morales.

Pour qu'il y ait paix véritable, par-delà l'idée d'équilibre de forces entre Etats, toujours menaçante pour la vie des peuples, victime de l'injustice nationale et internationale, il faut qu'il en soit fini du vieux monde, et qu'à l'actuelle «paix sociale» que fortifie la guerre, succède, comme une insurrection, le prélude à l'Utopie.

Que s'affirme notre désir à ainsi éclairer l'énigmatique nécessité historique, une lumière s'accroît aussi, ces jours-ci, de tout appel au sabotage, à la désertion, à la révolte...

«Quelle connerie la guerre». Ce que dit le poète veut s'initier à l'action. «Rappelle toi Barbara»: «La poésie ne rythmera plus l'action, elle sera en avant»...

En appeler, en octobre dernier, à «la constitution d'une universelle de l'évidence», c'était aussi, pour rendre aux mots, à leur magie, tout pouvoir qui ne réside que dans leurs racines mêmes, par lesquelles ils puisent à la terre entière des gestes et des actes. En quête aussi de cette lucidité qui accordent désir et volonté. Lucidité, comme prisme d'une pensée s'efforçant à communiquer tout le réel, dont nous sommes, et que nous ne nommons surréalité que par défi à tous les réalismes.

Aussi bien, face à cette guerre, restons nous les contempteurs de tous les belligérants et de tous ceux qui signeront les conditions d'une paix qui ne serait qu'un instant de plus dans l'histoire d'une civilisation ignominieuse.

Que restera-t-il, sinon, de la liberté, de sa part de hasard, épuisés par la série des catastrophes où se déprime l'horizon et se suggèrent les nouveaux mirages ?

 23 février 1991
Le groupe de Paris du Mouvement Surréaliste

Luc Barbaro, Anny Bonnin, Laurent Bergstrasser, Thérèse Boujon, Vincent Bounoure, Aurélien Dauguet, Alice Douart, Emmanuel Fenet, Guy Girard, Pascal Goblot, Jean-Pierre Guillon, Michel Lequenne, Michael Löwy, Marie-Dominique Massoni, Thomas Mordant, Fabrice Pascaud, Alexandre Pierrepont, Roger Renaud, Ody Sabban, Bertrand Schmidt, Danielle et Marc Thivolet, Daniel Vassaux, Florence Vasseur, Benoit Vitse, Michel Zimbacca.

Correspondance: Michel Lequenne, 20, rue du Mail, 75002 Paris

Imprimerie Rotographie, Tél: 48.59.00.31

 

tract, 1991