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L'OR DU VENT

L'annonce de la vente prochaine, à l'Hôtel Drouot, de la « collection » André Breton, c'est-à-dire, en réalité, de tout ce qui a peuplé l'existence de celui-ci, du beau butin vivant de sa chasse fabuleuse, suscite une émotion, provoque une tristesse que nous partageons, même si elle s'accompagne chez nous d'une certaine fatigue. Un peu partout dans le monde, et par les voies actuelles de ce monde, des pétitions circulent, plus ou moins intéressantes, plus ou moins intéressées, pour rappeler les institutions de la République française à leur supposé devoir de « conservation »  sous la forme d'un musée, par exemple. Sans vouloir ouvrir de polémique sur un sujet qui, autant qu'à des conceptions différentes du surréalisme (et de la poésie), renvoie à la sensibilité de chacun, nous avons voulu communiquer le point de vue de quelques-uns qui pensent que les pas perdus ne doivent pas l'être dans les couloirs de la culture.

MYRDDIN, 2003

Correspondance  : Pierre Peuchmaurd - Le Ségala 46600 Cazillac

L'APPEL
À TARTES

Un musée André Breton ? Cette éventualité a de quoi faire frémir. Certes, je partage le crève-coeur ressenti à l'annonce de la disparition des trésors du 42 rue Fontaine. Pour qui a eu la chance d'y pénétrer, de surcroît d'y être reçu en tête à tête avec le maître des lieux, c'est la confirmation qu'André Breton est bel et bien mort. Je suis de ceux qui en demeurent inconsolables. La force de sa pensée, la justesse de son regard, la teneur et la tenue de ses propos, la chaleur humaine de ses convictions (tous ces mots sont interchangeables), n'ont pas été remplacées et continuent de nous manquer. Pire, elles n'ont pas trouvé preneur: voyez le monde.

Il faut donc se faire à l'inéluctable, c'est une loi de la vie. À l'écoeurant aussi (mais on n'y est pas obligé) puisqu'il va être avant tout question d'argent là où il n'était avant tout question que d'amour. Mais il faut avoir vu la belle main charnue d'André Breton toucher le moindre de ses objets (rien qui ne méritât une caresse), saisir tel moai de l'île de Pâques, se poser sur le pied de son Uli, ouvrir un livre avec autant de délicatesse que d'absence d'aménité, effleurer une agate ramassée au bord du Lot ou pointer l'index sur cette peinture du plus récent de ses compagnons, il faut avoir vu l'homme se mouvoir dans l'univers qu'il s'était lui-même créé (avec si peu de moyens !) pour se rappeler qu'il était seul capable, par ce fait même, de rendre à ces objets cette vie pleine de mystère qui, si diversement, a présidé à leur élaboration et reste le garant de leur existence. Chez André Breton, du fait peut-être de leur abondance incroyable, les objets, les livres étaient en liberté. On les sentait disponibles de révéler ou non leur secret. Il ne fait pas de doute pour moi que leur transplantation chez le plus raffiné des collectionneurs ou derrière la vitrine du plus prestigieux des musées leur portera le coup de grâce. Imagine-t-on des cohortes de touristes dans leurs habits fluo envahissant l'atelier (ou sa reconstitution) avant de se précipiter au sex-shop du coin parce qu'un tour operator aura mis l'un et l'autre au programme de leur divertissement parisien ? Imagine-t-on ces statues pétrifiées sur leur socle, ces tableaux étiquetés, ces livres inconsultables transformés en décor ? Plus inimaginable encore, cette dégradation du surréalisme en monument institutionnel.

Je veux croire que l'État, avec son impayable droit de préemption, saura mettre à l'abri les documents inédits et inestimables que Breton détenait, forcément, sur la vie souterraine et les péripéties cachées du mouvement dont il a été jusqu'à sa mort l'animateur irréductible.

Quant au reste, oui, nous pouvons, grâce aux photos de Man Ray, de CartierBresson, de Gisèle Freund, de Paul Almasy, de Sabine Weiss ou de Gilles Ehrmann et au cdRom, avoir une idée de ce qui, littéralement, a pu avoir lieu là. Pourquoi pas, un jour, un livre ? Mais aucun musée, aucune fondation, aucun collectionneur ne sauraient le faire revivre.

La mort s'est servie il y a plus de trente ans, l'or du temps est redevenu poussière aux yeux. C'est aujourd'hui l'heure de se demander, shakespearement et superbement : que devient la blancheur quand la neige a fondu ?

Quant à moi, je répondrai : une image unique, un souvenir merveilleux, et surtout une idée. Une ineffaçable idée.

Relire Breton.

FRANÇOIS-RENÉ SIMON

(Réponse à la « Proposition d'appel » mise en circulation par Mathieu Bénézet, François Bon et Laurent Margantin.)

 

    Vente aux enchères de la collection André Breton : quant à la dispersion de cette collection, idéalement elle eût dû avoir lieu instantanément dans la seconde qui suivit celle de la mort de l'auteur de « Lâchez tout », grâce au geste parfait de la foudre qui, dans un grand bruit de dislocation, eût disséminé en tombant sur son repaire le rêve d'un seul homme, redistribuant à tout hasard la mémoire du regard de quelques masques ; elle eût ainsi, en la déjouant, contribué à parfaire l'idée problématique d'un juste partage des richesses et de la splendeur. Quant à sa non-dispersion, idéalement il eût fallu, par exemple, inventer quelque rite de passage pour permettre la fréquentation chronique de cette forêt à d'ombrageux poètes d'aujourd'hui, de qui des preuves d'actes poétiques, pourquoi pas, eussent été exigées : cette idée, choisie pour sa naïveté, un contexte moins idiot l'eût peut-être changée en fait réel ; la situation présente l'oblige, avec d'autres, à demeurer une pure rêverie.

JEAN-CHRISTOPHE BELOTTI
&
EMMANUEL FENET

(Poisson-Coffre n° 2, janvier 2003)

1 numéro : 5 Euros

10 numéros 40 Euros

 Contact et abonnement : Jean-Christophe Belotti, 19 quai de la Croix-Blanche

77 670 Saint-Mammès