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Remis à deux mains

Une nuit de 1991, je suis avec F. dans le studio que nous partageons. Je dois dormir depuis plusieurs heures déjà quand F. qui est à côté de moi se réveille et, par-là, me réveille aussi. Elle était en train de rêver et se souvient parfaitement du rêve qu’elle a fait. Afin de ne pas l’oublier elle entreprend de me le narrer aussitôt. Je l’écoute. Mal réveillé, je suis encore dans un état de demi-sommeil, et quelques bribes de mon propre rêve s’accrochent, d’une façon très floue, dans ma conscience. Dans son rêve, il est question de mon petit-neveu Corentin avec lequel elle se trouve sur une route bordant la mer. Ils sont à la recherche d’une confiserie.

Je crois m’être endormi à l’écoute du récit. C’est alors que sans rupture aucune je recommence à rêver, reprenant comme point de départ ce qu’elle m’a raconté. Me voilà en train de poursuivre son rêve, lui empruntant les personnages, les décors et la situation de base. F. et Corentin sont bien là sur cette route bordant la mer, qui est devenue une esplanade, cherchant toujours leur magasin de bonbons. Corentin est de plus en plus impatient, ce qui a pour don d’énerver F. Puis reprenant la situation à mon propre compte, je la fais évoluer. Voilà que Corentin disparaît, comme happé par la route. Il est tombé dans un trou, et F., désespérée, ne sait pas comment m’annoncer la nouvelle. Le rêve, que je me suis en quelque sorte approprié, rejoint à ce moment le rêve que j’étais en train de faire précédemment (comme dans nombre de mes rêves, j’étais dans un train). F. m’attend à la gare, qui se trouve elle aussi au bord de la mer, afin de m’annoncer la disparition de Corentin, faisant ainsi communiquer, dans une même continuité rêvée, nos deux cheminements inconscients.

Au petit matin, curieux, je demande à ma compagne si elle a poursuivi, elle aussi, le rêve qu’elle m’a raconté au milieu de la nuit, afin de savoir si nous n’avons pas suivi, chacun de notre côté, une route différente et, qui sait, peut-être, cheminé de concert dans la même direction. Malheureusement, elle ne s’en souvient pas.

 

Cette aventure, qui ne s’est produite qu’une seule fois, m’a laissé une très forte impression. Expérience intime parmi toutes, elle m’a fait toucher du doigt ce qui pourrait être une « mise en commun » de l’expérience inconsciente. En partant de là, ne pourrait-on pas imaginer tout un mode de partage et de connaissance, voire de communication ?

Est-il illusoire, ainsi, de penser que, tout comme nous nous entraînons à la notation (et donc à la mémorisation) de nos rêves, nous pouvons nous exercer à un certain partage de ceux-ci ? Le rêve, exercice de la subjectivité par excellence, pourrait-il donc de cette manière acquérir un mode opératoire sur le plan de l’intersubjectivité ?

Découlant de là, toute une série de questions et de perspectives s’offre à nous.

Le corollaire à cette expérience a été pour moi l’expérience amoureuse et la connaissance subjective qu’elle offre à l’autre.

Comment la connaissance partagée de l’autre, par l’entremise de l’amour, offre-t-elle une connaissance, et même une expérience inconsciente de cet autre, et comment voyageons-nous de l’une à l’autre de ces connaissances ?

Dès lors, parler de l’homme et de la femme « rêvés », ne serait plus simplement une manière de parler.

Bertrand Schmitt