La pensée peut se prendre elle-même
comme objet de pensée dans la réflexion. Cependant, on ne peut pas réduire la pensée à cette propriété, comme si elle n’avait d’autre fonction que de se penser elle-même, c’est-à-dire d’être
pensable. La pensée est orientée vers l’impensable, vers ce qui lui échappe.Je suis tenté de risquer une comparaison : la pensée est orientée vers l’impensable comme la vie est
orientée vers la mort. Mais si la mort est en effet impensable, l’impensable n’est pas la mort, tout au contraire. Et si la pensée est une caractéristique de la vie, il ne s’ensuit pas que la vie
soit entièrement pensable. De plus il s’agirait d’une orientation biologique, et non d’une philosophie de l’être-pour-la-mort qui réduirait la vie à cette destination.
[…] Lorsque
s’assombrit ce que je croyais définitivement clair, je comprends qu’il s’agit d’un signe : ma pensée aspire à aller plus loin, elle sait que son but n’est pas de se contempler elle-même. Et il
serait dangereux de me morfondre sur place en l’empêchant de poursuivre sa route, ou bien de la violenter pour en tirer encore quelques lueurs – elle en périrait ou deviendrait démente. La pensée
veut aller au bout d’elle-même ; c’est son essence, sa raison d’être, et elle ne risque pas la folie dans cet excès – la folie peut résulter au contraire d’un arrêt forcé de la pensée.
La reconnaissance de l’impensable permet d’en finir avec les faux mystères engendrés par la peur de l’impensable. Ces prétendus mystères sont des chimères qui se trouvent dissipées
par le libre jeu de la pensée, car l’irrationnel est pensable, Dieu est pensable, l’aporie est pensable.
[…] Que l’existence de l’être soit tout entière dans la relation que nous
avons avec lui – qui pourtant n’est pas lui – est impensable.
Le mythe est une relation au monde qui préserve la présence de l’impensable.
Le symbole désigne le seuil de l’impensable.
Le rêve vogue à l’aise dans l’impensable (c’est pourquoi son récit, qui se veut pensable, est toujours si frustrant).
[…] Il faut ramener les mystères dans ce monde – ils sont « hors de notre pensée », mais pas « hors de ce monde » – ils sont l’impensable présent.
Claude-Lucien Cauët. à propos de l’impensable (extraits)