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En 1525, dans la nuit du mercredi au jeudi après la Pentecôte, j’ai eu cette vision pendant mon sommeil : de nombreuses et fortes trombes d’eau tombant du ciel. Et la première atteignit la terre à environ quatre milles de moi avec une puissance effrayante et un immense bruit et elle s’écrasa et engloutit tout le pays. A cette apparition je fus si effrayé que je m’éveillai avant que les autres trombes d’eau ne tombassent. Et les trombes qui tombaient étaient très fortes. Et certaines tombaient loin, d’autres plus près, et elles venaient de si haut qu’elles donnaient l’impression de tomber lentement. Mais lorsque la première trombe qui atteignit la terre en fut arrivée tout près, elle tomba avec une telle vitesse, accompagnée d’un tel vent et d’un tel mugissement que j’en fus effrayé au point qu’en m’éveillant je tremblais de tout mon corps et que je fus longtemps à me remettre. Mais le matin en me levant, je peignis ce qui est au-dessus comme je l’avais vu.

Albrecht Dürer

Depuis maintenant une quinzaine d’années, la quête poétique de Jean-Pierre Le Goff s’accomplit, sollicitant les connivences de ses amis, en de minuscules rituels au coin d’un bois, au bord d’une route, au hasard d’une trouvaille.

Ce que l’image mentale à l’imprévu de la voix intérieure, d’un rêve du retour d’une obsession enfantine peut mettre en doute ou au contraire souverainement certifier de la puissance du langage à répondre de la réalité objective, est alors formulé de façon à appeler une action où sera éprouvée cette coutume de l’esprit. L’expérience aboutit ou non : son constat dressé ne vise à rien tant qu’à provoquer la relance au gré des disponibilités des mots, des objets parfois aussi impalpables que flocons de neige ou arcs-en-ciel. L’événement attendu impose un calendrier et un itinéraire qui souvent participent d’une légende librement interprétée. Ainsi roulent les perles, jeu projeté par une sensibilité souvent plus encline à guetter les signes d’un monde enfin prolixe qu’à s’assurer des mouvements internes qui permettent leur reconnaissance.

G. G.

470 années plus tard…

Dans la nuit du 7 au 8 juin 1525, Albrecht Dürer fit un cauchemar. Il fut si impressionné que le lendemain il peignit une aquarelle de son rêve, en dessous il décrivit sa vision.

La lumière de l’étoile Polaire met 470 ans pour atteindre la Terre. J’ai souhaité photographier l’étoile Polaire dans la nuit du 7 au 8 juin 1995, c’est-à-dire 470 années après que Dürer eut fait son rêve de manière à pouvoir avoir sur la photographie trace de la lumière qui partait de l’étoile au moment où Dürer rêvait.

J’allais à Lanquetot chez Alain Sonneville et Sylvie Cao Van.

Le ciel était bouché. Alain et moi installâmes nos appareils photographiques sur leur pied. Il se mit à pleuvoir, non pas des trombes d’eau, mais une pluie fine. Comme les prévisions météorologiques nous étaient défavorables, nous décidâmes de replier le matériel. Alain me proposa de photographier l’étoile une nuit où le ciel serait dégagé.

C’est ce qu’il fit. Il porta la pellicule à développer dans une boutique de la gare Saint-Lazare. Lorsqu’il retourna la chercher, le vendeur lui dit que les photos étaient ratées. Il demanda le négatif, il avait été jeté à la poubelle. Il insista. Le vendeur fouilla la poubelle et le retrouva. Alain le porta chez un photographe à Bolbec, qui remarqua que la photo était sous-exposée et qu’il valait peut-être mieux la reprendre. Alain, par nuit claire, reprit la photo. Lorsqu’il retourna chez le photographe, celui-ci lui fit part  du même problème. Il discuta technique avec Alain et s’étonna lorsqu’il apprit qu’il s’agissait  de l’étoile Polaire puisqu’un photographe du club de Bolbec venait lui aussi de photographier l’étoile Polaire. Alain me demanda si je voulais acquérir la photographie pour l’exposition qui devait se  tenir à Châteauroux : j’acceptai, puisqu’il me paraissait important que la photographie de l’étoile fut prise aux alentours de la nuit du 7 au 8 juin. Le photographe se nommait Damien Capron. Le fait que cette photo existât tenait en somme du miracle.

Je la reçus. Elle était très belle. Elle représentait l’étoile Polaire qui s’encadrait sous l’arche du viaduc du chemin de fer de Beuzeville. Il ne me serait jamais venu à l’idée que cette lumière, qui naquit à l’époque où Albrecht Dürer fit son rêve, fût fixée en ce lieu qui interféra étrangement avec ma vie.

Jean-Pierre Le Goff