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D’un rêveur à l’autre
(proposition d’expérience)

Proposition

Je vous demande d’observer si dans les caractères formels particuliers de vos rêves se retrouvent parfois des manières de rêver qui se développent sur la base de confidences que vous pouvez solliciter parmi vos amis au sujet de leur propre vie onirique.

Il ne s’agit pas ici d’analogies de récits (dont un exemple est décrit par Guy Girard  dans « Squeleïdoscope » ).

Il s’agit d’abord de reconnaître dans la description détaillée que quelqu’un vous fait de ses rêves les aspects syntaxiques, la personnalité onirique, le style psychique du rêveur.

Ces caractéristiques ne sont pas les vôtres, mais dans la ou les nuits suivantes, il pourra vous arriver de rêver et par la suite de reconnaître l’emprunt que votre inconscient s’est empressé de faire.

Expérience personnelle

J’ai été conduit à commencer depuis l’été 1994 une enquête personnelle sur le type des rêves de certains de mes amis. D’après cette investigation, il semble que la plupart des gens s’habituent pour de longues périodes de leurs vies à des formes personnelles de rêves, très variables d’une personne à l’autre, auxquels ils soumettent la plus grande part de leur onirisme. J’ai mené et continue à mener ma recherche avec des dialogues d’une durée moyenne d’environ deux heures. Je commence mon questionnement en demandant en substance : « Mis à part l’intrigue, comment rêvez-vous ? » Le souci de recueillir le plus intime des confidences m’a fait le plus souvent délaisser la prise de notes minutieuses et l’enregistrement. Le résultat subjectivement le plus inattendu de cette enquête a toutefois été jusqu’à présent de me permettre d’expérimenter moi-même de tout nouveaux types de rêves.

Une amie m’ayant expliqué dans les détails combien les goûts et les odeurs occupaient de place dans ses rêves, je me suis curieusement plongé dès la nuit suivante dans la première série de rêves de nourriture dont je me souvienne et qui consistait en une interminable orgie de mets fantastiques délicatement parfumés, très légers, presque impalpables.

Quelqu’un d’autre m’ayant fait part de ce qu’il faisait presque toujours le même rêve, avec d’infimes variantes, j’ai eu à mon tour au cours d’une même nuit plusieurs rêves presque identiques consistant en la contemplation d’un seul et unique objet. Une nuit suivante, j’ai surenchéri en contemplant sans défaillance en rêve, l’absence d’un rêve dont je guettais avec ardeur l’improbable surgissement.

Une femme m’ayant fait sentir l’extrême clarté, la construction et la précision des histoires que constituent ses rêves, j’ai relevé le défi en accouchant quelques jours plus tard d’un songe qui était une petite nouvelle très achevée, très élaborée et littérairement soignée.

Un vieil ami aux tendances autistes marquées m’ayant confié qu’il se représentait en général dans ses rêves comme un objet, ou une partie d’objet, j’ai moi-même revêtu ce type de forme dans plusieurs de mes rêves ultérieurs, etc.

Commentaire

Il est possible que mon inconscient nocturne soit particulièrement influençable. Plusieurs de mes amis m’ont cependant signalé qu’ayant sur mon exemple interrogé d’autres personnes sur la forme de leurs rêves, ils avaient eux aussi puisé nuitamment à ces scènes ouvertes. D’ailleurs, le rêve de Michel Zimbacca qu’il a décrit dans Conseil de nuit lui est venu après une longue discussion sur les rêves (à laquelle j’ai participé). Il semble ainsi que pour expérimenter de nouveaux types de rêves, il suffise assez souvent de s’intéresser intensément et dans les détails à ceux de ses amis. Le rêveur ne copie pas mais dispose de sources d’inspiration formelles renouvelées qui ne peuvent que stimuler l’imagination du sommeil. Ce qui m’enchante dans cette expérience, c’est cependant moins la perspective bien réelle à long terme d’enrichir l’atelier des rêves, que de sentir et faire sentir le trouble profond qu’introduisent en nous les rêves des autres.

Thomas Mordant