Aujourd'hui
la revue 
 S.U.R.R.
Résistance
Les Editions 
 surréalistes
Chrono
Les Amis
Chimères
Expos

Au bal des Tihus

l est des terres qui aspirent la frange de nos rêves ; d’autres qui offrent à nos soifs d’utopie des ondées bienfaisantes. Ce sont parfois les mêmes, pour peu qu’elles soient le choix de peuples portés par une prescience assurée et une cosmogonie déterminante. Il faut interroger « l’invention du monde » des indiens pueblos (Hopis, Zunis, Acoma, etc) pour comprendre pourquoi ces peuples ont décidé de vivre sur les terres si arides de l’Arizona et du Nouveau Mexique, qu’il faille parfois au cultivateur plus d’un jour de marche pour aller entretenir ses plantations. Un choix qui leur fut inspiré par les prophéties et les mythes, notamment le mythe de l’émergence : après avoir traversé plusieurs mondes1, le peuple Hopi surgit des entrailles de la terre par le « Sisapuni », orifice qui est reproduit dans le sol de la « kiva ». Cette chambre cérémonielle est à la fois un lieu de culte, la maison de réunion des hommes et l’endroit où l’on serre les objets cultuels.

Plus pacifique que pacifiste, ce peuple n’a, durant son histoire, que peu connu la guerre, mais il est toujours prêt à défendre son intégrité, tant morale que physique, comme ce fut le cas au xviie siècle : les premiers arrivants européens furent des membres du clergé espagnol qui installèrent d’emblée une mission sur le territoire d’Oraibi. Alors, non seulement ils forcèrent les habitants hopis à construire cette mission, mais ils levèrent des impôts. Les tentatives de conversion de ceux que les prêtres considéraient comme des « idolâtres et sacrilèges » étaient assortis de vexations, de punitions et de coups. Les brutalités des missionnaires eurent un effet imprévu : en août 1680, tous les peuples de la région se liguèrent. Non seulement, ils chassèrent les prêtres mais ils démantelèrent pierre par pierre les églises qu’ils avaient été obligés de construire. Cet épisode eut force d’exemple : depuis une vingtaine d’années, les touristes à pop-corn et boîtes de Coca-cola sont poliment mais fermement invités à garder une tenue décente, à respecter l’environnement et il leur est formellement interdit de filmer et de photographier les habitants, les cérémonies et les danses.

Cette volonté a été respectée par Serge Bluds qui a réalisé une magnifique série de photos panoramiques pour l’exposition : la Danse des Kachina dans les collections surréalistes et alentour, qui s’est tenue l’été dernier, au pavillon des Arts, à Paris. Près de 130 poupées kachina, des masques, des tabletas (ornements de tête) et objets divers furent réunis. On sait que les kachina sont à la fois les esprits peuplant l’univers spirituel des Indiens pueblos, les danseurs qui les représentent lors des cérémonies et les poupées (tihus) qui sont données aux enfants pour leur éducation et parfois aux femmes qui ont un souhait à exprimer 2.

Véritable paradoxe dans le domaine de l’expression, le tihus a cette particularité qu’amené à représenter un personnage dansant, il est proposé (tout au moins avant les années cinquante) dans une attitude délibérément statique. De plus, transcendant l’apparence, tout un jeu de formes et de couleurs se met en place et se combine, par un sens surprenant de l’invention, à une étonnante quantité de variations à partir des éléments du visage, du corps et des attributs. C’est pour le moins, en un projet pédagogique, faire une confiance absolue à l’imaginaire des enfants. Quant à la simple magie qui émane de ces objets, tous les collectionneurs l’assurent : lorsque l’on vit à leurs côtés et que l’on a gagné leur sympathie, on peut les voir s’agiter et danser.

À l’horizon des sabres, les regards apparaissent comme des soleils levants. Ici, une feuille morte déguisée en crapaud s'envole en chantant la danse du Maïs bleu :

Ah ! Merveilleux ! Les voici !
Les nuages-fleurs
Viennent ici !
Les nuages-fleurs
Merveilleux !

 

Aurélien Dauguet

 

1. Le Premier Monde, qui était corrompu mais bon. Le Deuxième Monde était tout aussi beau, mais les animaux n’avaient plus confiance en les hommes. Quant au Troisième Monde, qui précède le nôtre, les hommes s’y sont multipliés et ont bâti des grandes villes. Mais c’est aussi le Monde des Boucliers Volants capables d’attaquer des villes lointaines et de revenir avant que l’on s’aperçoive de leur départ !

2. Lorsque André Breton, en visite chez les Hopis s’enquit de la possibilité d’acquérir quelques tihus, il lui fut répondu que l’on ne pouvait prendre une décision sans en reférer aux enfants. Ce ne fut qu’après avoir obtenu l’accord de ceux-ci que la tractation put se faire (témoignage d’Elisa Breton).