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Le tour du monde de l’étoile de mer

La vingt-deuxième heure de la nuit venait de sonner. Aux époques périmées, on eût dit : « C’était la nuit ». Perdu dans la turbulente ruée des vapeurs, qui renforçaient sans cesse les eaux volatilisées des océans, l’avion-fusée paraissait immobile au milieu des nuages piqués de la tarentule. Ce mur de brume, vaguement teinté de reflets rougeâtres, formait autour de lui une ronde aux silhouettes macabres. Sa course, cependant devait être rapide. L’Étoile de mer se mit à disserter. Elle savait qu’une seule chose engendre l’épouvante : l’incompréhensible. Il y avait peut-être un demi-siècle, mais le temps, dans l’instant, importait peu, que l’Étoile de Mer visitait les astres et les quelques amis qu’elle avait là, le professeur Oranius, notamment, et quelques argonautes.

Sur les tours Eiffel de la galaxie, d’innombrables bougies sanctifiaient les déplacements d’air qu’elles provoquent en tissant les étonnantes barbes des sujets de sable. Ainsi le retour sur terre de l’Étoile de mer s’accomplit aisément : il lui suffit, pour atterrir, de fixer ces deux lignes croisées, symbole impératif d’une géographie impériale qui délimite, parmi les États-Unis, les lieux occupés notamment par les états Zuni et les états Hopi.

L’Étoile de mer y fut accueillie comme à l’accoutumée, par Palik Mana, « la Fille-Papillon des ondées fertilisant la terre », à la couronne d’arc-en-ciel, où descendent, en majesté, des escaliers du ciel, les éclairs aux parfums lumineux. Souvent l’Étoile de mer visite ces régions, allant même, et ce, malgré son aversion pour les gens de police, jusqu’à parcourir, il y a peu d’années encore, les pistes, aux côtés de Jim Chee et Joe Leaphorn, les policiers Navajo. Mais c’est à Oraïbi-le-Vieux que l’accueil, qu’il lui tient à cœur de ne jamais solliciter, lui est le plus discrètement chaleureux. Il est vrai qu’elle a la chance de bénéficier, dans sa propre tour, de la présence d’esprits, parmi les plus puissants tout autant que modestes, qui lui prodiguent, en maintes circonstances, quelques précieux gains de secrète sérénité.

Faut-il préciser que cette tour présente cette particularité d’être, non pas penchée, comme paraît-il celle de Pise, mais allongée et légèrement incrustée dans le sol. C’est qu’elle est, dit-on, à la fois tour et sous-marin. Certains prétendent même qu’elle serait un sous-marin lassé du fond des mers. D’autres qu’il s’agit de rien de moins que du Nautilus et que Jules Verne (en réalité le capitaine Nemo) y séjourne en permanence et qu’en compagnie de l’Étoile de mer, ils parcourent les régions les plus secrètes de la Terre, du désir et du rêve.

L’Étoile de mer, qui accomplit de nombreux voyages en position assise, a remarqué l’étonnante similitude entre l’écran de télévision et le pare-brise d’une automobile en mouvement : même forme rectangulaire aux angles arrondis, même ressemblance, au repos, avec l’œil d’un bovidé et surtout, même monotonie du spectacle offert. Et, faudrait-il ajouter, même pouvoir hypnotique et soporifique. À usage sensiblement égal, l’Étoile de mer leur préfère la modeste vitre qui peut, plus généreusement, offrir des spectacles d’une géographie autrement attrayante, avec le simple secours de la poussière, de la pluie et de la très intéressante combinaison de ces deux éléments. La vitre peut aussi présenter l’étonnante combinaison de la transparence et du reflet, qui nécessiterait à elle seule de longues réflexions accompagnées d’illustrations explicatives.

En déployant une carte routière dont le désir caché était de tracer des couronnes à tous les firmaments, l’Étoile de mer ne se doutait pas que ses membres allaient soudain rayonner d’une intense luminosité comme celle que l’on peut observer, d’assez loin, flottant au-dessus d’une fête foraine. Familière des déplacements en automobile, l’Étoile de mer, il lui faut bien le confesser, se trouve parfois happée par des circuits étrangers à ses choix initiaux. Bien plus que la simple distraction, il lui faut convenir que son inconscient (je sais que l’on va me dire qu’il a « bon dos ») lui signale parfois des parcours dont l’étonnante fantaisie nécessiterait une étude autrement approfondie.

De ses parcours les plus fréquents, l’Étoile de mer a pu remarquer l’étonnante similitude de distances entre quatre points du territoire européen où la conduisent les liens de l’affection et ceux de l’amitié : soit, de sa tour à Prague, capitale de toutes les transmutations, en passant par Munich, résidence d’un des joyaux de sa couronne charnelle, et ceux de sa tour à Saint-Girons, où le cercle de cette couronne se boucle. Et, pour peu que cet élan se poursuive jusqu’à Barcelone, métropole de l’Utopie vivante où elle sait retrouver des compagnons de lutte et d’espoir, les parcours ainsi tracés laissent se dessiner les pas de la danse joyeuse d’un personnage par ailleurs invisible. Cette figure apparaissant d’ailleurs incidemment, depuis plusieurs années, dans la composition de certains des tableaux que, d’aventure, elle brosse.

S’il lui arrive parfois de se rendre sur les lieux de son dernier domicile parisien, ce petit hôtel de la rue Guénégaud, maintenant remplacé par un restaurant brésilien, l’Étoile de mer en est, encore aujourd’hui, à se demander pourquoi, et bien que ces lieux lui soient toujours vivants à la mémoire, elle ne se rend jamais, lors de ses fréquentes visites parisiennes, dans les quartiers où se sont déroulées les années de son enfance. Lui faut-il garder ses souvenirs intacts ? Elle se priverait alors de la surprise, souvent riche et féconde du collage temporel. Craint-elle de précipiter la fermeture de la boucle, quand naissance et mort se rencontrent au creuset ?

Des improbables hoquets de la mémoire, les vertigineux tremplins s’élancent sans trop d’espoir. Ces trajectoires ambitionnent pourtant de percer les montagnes de l’oubli, mais l’écriture des lieux trouve son encre dans les lacs lacrymaux. L’Étoile de mer, cependant, est toujours du voyage.

Aurélien Dauguet

 

La canicule des sirènes. Guy Girard

La canicule des sirènes. Guy Girard