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Lieu de la Révolution et révolution du lieu
                                          Colloque, 1993
                                        Aurélien Dauguet

Définition du lieu: Où est l'ennemi ? Partout !
A ce moment: fin de la fausse opposition des Deux Mondes. Aujourd'hui le plus vieil ennemi a endossé des habits neufs. Il "récupère", il transmute. A l'en croire, nos valeurs sont devenues siennes. C'est lui qui va transformer le monde (créer un nouvel ordre mondial pacifique et démocratique... à grands renforts de canonnières pour "ingérence" justifiée, et de généraux d'escadrons de la mort...).
C'est lui qui va changer la Vie (avec des Disneyland dans chaque département...). Il change le codage du langage. Comme ceux du 1984 d'Orwell, ses mots signifient une chose et son contraire, selon ses besoins. L'ennemi intérieur qui avait transformé la révolution en la pire des contre-révolutions, est abattu dans ses grandes forteresses mais subsiste, en ses germes, avec le double problème, des délégations de pouvoir, directions s'élevant audessus des dirigés; de la morale des fins et des moyens. Nous, surréalistes, maintenons le
principe que les deux mots d'ordre: "Transformer le monde" (Marx), "Changer la Vie" (Rimbaud) n'en font qu'un. Dira-t-on que cela va de soi pour tous les révolutionnaires et pour tous les militants du mouvement ouvrier ?
En fait, les organisations qui se donnent pour fin la transformation du monde, gardent, quant au fond, la problématique des étapes:
"D'abord renverser le système d'oppression de l'homme par l'homme, puis, on changera la vie quand les conditions le permettront."
L'aile socialdémocrate tend à renverser les termes: "d'abord changer tout doucement la vie (matérielle), et puis on pourra en finir avec le système d'exploitation et d'oppression."D'un côté la morale du sacrifice; de l'autre le sommeil béat des promesses électorales.
La morale du sacrifice, c'est "Acceptons de souffrir pour que demain nos descendants soient heureux". C'est la laïcisation de la promesse paradisiaque. Une morale de mort censée mener a la vie."Le révolutionnaire est un homme condamné d'avance. Il ne doit avoir ni relations passionnelles, ni choses ou êtres aimés. Il devrait se dépouiller même de son nom. Tout en lui doit se concentrer dans une seule passion: la révolution." Netchaiev.(voir aussi V. Serge citation à venir où la Révolution devient le Parti)
On adopte ce principe et l'on finit par avouer être un agent de la Gestapo dans un procès de Moscou.
La morale du sacrifice est une morale de mort.
Nous y opposons une morale du désir 'Changer la vie' n'est pas affaire de demain.
L'unité des 'deux mots d'ordre' implique qu'aucun d'entre eux ne précède l'autre, qu'ils sont à la fois objectif et vie quotidienne, sans solution de continuité.
Davantage: si l'Utopie désirée les unit, elle ne peut être réalisée que dans la constante tension vers elle, en soi et hors de soi.
On ne transforme pas le monde sans se révolutionner soi-même. L'expérience des échecs et des désastres révolutionnaires prouve, entre autres choses, que l'on ne peut transformer le monde si les révolutionnaires maintiennent en eux le "vieil homme".
On ne se révolutionne pas soi-même, on ne s'engage pas sur la voie du changement de la vie en soi (au profond sens rimbaldien) sans action qui engage déjà la transformation du monde.
Certes, nous n'ignorons pas que nous ne pouvons être aujourd'hui les femmes et les hommes de demain. Mais nous tenons aussi qu'il ne saurait y avoir de rupture entre notre tension vers eux et ce qu'ils seront.Panaït Istrati a dit que si l'on venait à la Révolution par le ventre ou la tête, on risquait d'en repartir par la même voie, et qu'il fallait y venir par le coeur. Nous dirions, pour notre part: y venir par l'Amour, qui est tout cela ensembleLes penseurs de la Révolution du XIX° et même du début du XX° siècle ont ignoré l'inconscient ou
l'ont tenu pour négligeable quant à leurs théories de l'action et des objectifs révolutionnaires. Cette négligence des pulsions irrationnelles les a désarmés devant leurs forces obscures, ne leur a pas permis d'y opposer leurs forces de lumière, la Poésie qui, pour les surréalistes n'est pas littérature, mais manière être au monde.
La Poésie implique tout le Rêve (d'où les voies cachées et leur force, la voyance et l'ésotérisme complètement étrangères et contraires aux charlatanismes qui règnent sous ces noms); tout le Désir (du Grand Eros primordial); toute l'Utopie sans laquelle il n'est pas de Révolution totale.
C'est là aussi le sens du "La Poésie doit être faite par tous."
Elle refuse la dissociation de l'être, de la conscience et de l'inconscient.
Tout cela implique que nous ne saurions admettre que la fin puisse justifier n'importe quels moyens.
En particulier justifier la limitation de la liberté et de l'expression. Car l'Utopie ne peut être celle d'une humanité sans conflit qui serait une humanité agonisante, mais une société de résolution infinie des conflits selon la dialectique héraclitéenne. Rien, en particulier, ne peut justifier le secret de ce qui concerne la collectivité, voie essentielle de l'oppression.
On ne réalisera l'Utopie que par un plus de conscience infini.
Ainsi, le surréalisme arpente des champs situés hors des périmètres de ceux, mieux délimités, de l'action sociale. Ce qui peut le placer, dans les perspectives de transformation(s) du monde, en des angles d'observation autres sans que ces angles comme ces observations soient pour autant divergents.
Le surréalisme est un projet de civilisation que nous construisons au jour le jour. C'est dire que nos gestes les plus simples comme nos prétentions les plus aiguës se veulent des pas toujours pressés de nous mener vers le basculement révolutionnaire.
Ce basculement révolutionnaire, nous le voulons bouquet de tous les miroitements permanents de notre révolte dans l'intransigeance de nos désirs.
C'est de ceux dont la problématique de la révolution sociale reste la préoccupation première que nous souhaitons une perception attentive de nos spécificités qui ne peuvent, croyons-nous, qu'enrichir ce domaine.
Pour notre part, nous restons le regard aiguisé aux perspectives révolutionnaires. Mais les infortunes diversement tragiques qu'ont connues les révolutions d'hier nous placent dans la plus grande exigence quand à celle que nous voulons nôtre.
Sur ce chemin de lumière, nous poserons deux jalons, empruntés l'un à André Breton qui écrivait dans Franc-Tireur du 9 Décembre 1948 "C'est des gouvernés et d'eux seuls qu'il faut attendre le mouvement de salubrité ; mouvement partant non des sommets mais de la base qui doit conduire à la Fédération Internationale des Peuples", l'autre à Benjamin Péret, dans une lettre à Georges Fontenis :
"L'insurrection prolétarienne doit marquer le premier jour de l'agonie de l'état".

J'ai ensuite rendu hommage à Benjamin Péret, Jehan Mayoux et à Maurice Joyeux récemment disparu.

Aurélien Dauguet