Alexandre Pierrepont et Bertrand Schmitt

J'ai du Bon Tabac
Violences

(extrait)
Appendice 1

Modalités à l'opération alchimique Nous cachons tous un petit sac de violence dans l'outre de notre dos. Une main tendue devant soi, selon la règle du chi-fou-mi - ce jeu de duel précoce qui pousse les enfants à mettre leur vie dans le choix fragile entre une feuille de papier, une paire de ciseaux, un puits et un caillou - nous nous sommes séparés, chacun dans une pièce, juste le temps de nous forger les armes nécessaires. Une fois dix morceaux, dix fragments, dix météores, dix éclats de phrases taillés, nous nous sommes mis face à face, à distance réglementaire. Là, tout est affaire de rapidité et d'adresse : vise à la mouture des phrases.

Suivant la vielle politesse suicidaire qui veut que Messieurs les Anglais tirent les premiers, l'un de nous pria l'autre de lui lire une de ses dix phrases, choisie à la lueur de l'arbitraire, et y accola en réponse une des siennes que l'autre lui avait demandée. A l'instant de la confrontation, feuille contre pierre, ciseaux coupant le papier, caillou frappant la margelle pour faire des étincelles, nous avons laissé la lumière se faire.

Pour que la fusion soit totalement accomplie, nous avons précipité suivant la loi de l'attraction un des deux fragments dans l'autre, le puits avalant la pierre.

De dix fragments antagonistes, de dix morceaux séparés, nous avons ainsi fait dix phrases unifiées, la violence venant féconder le manque originel. Ces dix phrases soudées au plomb auriférique formèrent l'ossature mobile d'un creuset.

Ce que nous avons vu s'y fondre entre deux feux - topologie toujours recommencée - nous a dévoilé ce que pourraient être ces paysages métamorphosés de violence.