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Marie-Dominique Massoni LE SURREALISME ET LE VIN
J'avoue mon plaisir à commencer cette journée à une tribune où les femmes sont en nombre, plaisir aussi à parler du surréalisme et du vin dans une ville où trois surréalistes sont nés : Guy Cabanel, Guy-René Doumayrou et Robert Lagarde. Esprit de ces lieux ici à Béziers, évoqué par le précédent intervenant et que Doumayrou porte à son plus haut période dans son magnifique ouvrage du même nom édité en cette ville même. Mais parler du surréalisme et du vin en ce début de matinée quelle gageure ! Alors je vous demanderais de bien vouloir vous imaginer à une heure crépusculaire, à l'heure où l'on retrouve les amis au café pour un apéritif qui pourra précéder une longue nuit où l'imagination sera au pouvoir. La relation que les surréalistes entretiennent avec le vin nous l'aborderons en trois de ses essentielles dimensions, celle de la convivialité, celle de l'esprit et celle de l'amour. Le vin de la convivialité Les artistes et les intellectuels bien sûr hantent depuis plus de deux siècles les cafés. Mais les cafés surréalistes ont ceci de particulier qu'ils sont le centre de gravité du collectif. Si la poésie doit comme l'électricité «se recharger en milieu isolé», le collectif a par excellence son antre dans le café Le café est lui-même un lieu important. Ainsi dans l'hiver 1925, le groupe, afin d'éviter la compagnie de quelques fâcheux, décida de quitter le Cyrano, place Blanche, et se retrouva dans un autre café sur les hauteurs de Montmartre. Las le lieu était sinistre, la mauvaise humeur s'abattit sur le groupe. Mieux valait affronter les indésirables qu'être plombé : toute boisson perd sa saveur si elle est bue dans un lieu détestable.. « Parce qu'un ». A l'image du verre. Le café est un lieu ouvert et fermé
Champagnes ruisselez dans les constellations
Nous ferons apparaître en pressant les raisins Si les goûts des uns et des autres différents, la manière d'approcher le verre à ses lèvres aussi. Zimbacca, le petit buveur (dont on se moquait dans les réunions bans bistrot non loin de la BN et où il y avait un petit pressoir, parce qu'il préférait le jus de raisin fraichement pressé au vin), raconte que Breton, dès le verre servi plein à ne pouvoir être mené aux lèvres, au risque de perdre du vin, se penchait vers son verre comme sur une main de dame et, avec la même exquise délicatesse, avalait la gorgée qui permettait à la conversation de commencer et au vin d'aller aux lèvres. Les surréalistes certes ne boivent pas que du vin. Mandarin curaçao ou Muscadet, les goûts varient suivant les époques et suivant les individus. Alcools, bière pour les tchèques Nul n'oublie le «beau comme le tremblement des mains dans l'alcoolisme», ou que c'est l'ivresse lucide de Jarry qui inventa la pataphysique «science des solutions imaginaires» Dans les années 70 le groupe maintenu après l'éclatement, ne se réunit plus dans un café. Aux rendez-vous quotidiens ont succédé des rendez-vous hebdomadaires, mais chez l'ami qui accueille, chacun arrive avec sa bouteille de rouge Rituels du vin, mais aussi comme chez d'autres le plaisir d'avoir déniché un petit cru exquis, mieux, de faire soi-même sa mise en bouteille Ainsi Robert Lagarde et son cru : Une aigle de pierre Ainsi Jean Jacques Méric choisissant ses citations suivant la cuvée. Le vin vient de Rasiguères. La cuvée de l'an dernier(93) fut un hommage à Elias Canetti, celle de 1991 à Omar Khayyam Mais le rapport des surréalistes au café et aux vins n'est pas simplement le fait de bons vivants.Le vin est aussi la boisson de contestataires, on ne peut simplement réduire parce que c'est facile, les surréalistes à une bonne compagnie de buveurs sans comprendre que le vin porte le goût, l'odeur de la révolte. Du noir des grappes, du rouge du liquide, noir et rouge, comme l'esprit libertaire qui toujours souffle chez nous.
«J'aime qui respecte son chien, affectionne ses outils, n'écorce pas les arbres pour en punir la sève, ne mouille pas le vin hérité, se moque de l'existence d'un monde exemplaire» (Char La nuit talismanique) ...Ce n'est pas dans les ciboires
Ecoutons Tzara «Et le chanteur des rues mettra l'ombre à la rude épreuve du silence répandu comme une tache de vin rouge qui saura engloutir la ville entière dans le délice et la volupté sans bornes vers quoi tendent véritablement les significations de l'homme cet imperturbable solitaire qui sort chaque jour d'une prison» (Grains et issues) Ecoutons Eluard Bouche usée C'est parce que le Oui ne se conçoit qu'à partir du NON de la révolte, c'est parce que ce Nonest d'abord celui du refus d'un monde où tout être lucide ne peut qu'être désespéré que la magie du vin opère. Vin du désespoir, vin de l'assassin, vin des amants,écrivait Baudelaire, Drame. Ainsi, une nuit, Dominguez lance un tesson de bouteille sur quelqu'un Brauner s'interpose. Il a un Il avait eu cette prémonition, une de ses oeuvres en témoigne. , «Les intuitions des poètes sont les aventures oubliées de dieu, « et «Il est bon de tenter les dieux. Plus on les provoque et plus on a raison. Il ne faut pas leur laisser un moment de répit. Ils sommeillent bien trop, ils laissent l'homme seul sur le radeau des mourants» écrivait le philosophe Elias Canetti Et viennent les fins de soirée :
Désespoir , le désespoir n'est toujours que partie remise, il s'obstine : «Sur tous les comptoirs de la terre Le desespoir, la solitude, la conscience de vivre dans un monde insupportable, le refus de la dictature de la raison en tous ses oripeaux ont engendré un esprit d'insoumission. Le jeu, l'esprit de jeu, l'esprit, le ludique sont des armes essentielles pour qui ne veut pas se contenter de simplement survivre. Faut-il s'étonner que l'un des premiers jeux inventés (papier plié) donne pour résultat Le cadavre exquis boira le vin nouveau ?
«Qu'il pleuve des sardines
Et aujourd'hui où l'enfermement est plus grand encore, où l'on vit dans la glorieuse époque des simulations, quelques groupes continuent à se retrouver ainsi. dans des cafés : Au temple d'or, au temps des cerises, au Bougainville ou à la Tour Saint Jacques. Le nom des lieux est à l'évidence une invitation .au voyage... Les surréalistes n'ont jamais accepté de transiger avec leur crtique de l'état. Pourtant lors de la sortie du dernier tome des oeuvres complètes de Benjamin Péret qui participa à la révolution espagnole dans les rangs du POUM, puis dans ceux de la colonne Durutti, et qui jusqu'à sa mort fut l'intransigeance même, certains anciens surréalistes avaient décidé de lui consacrer une exposition et une soirée au Centre Georges Pompidou. Camouflet post mortem à l'insoumis ? Nous décidâmes à quelques uns d'aller à notre manière faire souffler un petit air d'insolence dans ce haut lieu de la récupération. Quand ces messieurs prirent place à la tribune, nous déballâmes gigot délicieusement rôti (Péret avait écrit Le gigot sa vie son ), sardines (Trois cerises et une sardine), et bien entendu Muscadet, son vin de prédilection était le blanc, et il était nantais... Ce gentil pique-nique perturba tant les organisateurs que leur soirée ne put aller plus avant. Bien entendu les tracts distribués par la quarantaine de trublions était d'un tonneau à faire pâlir de rage les messieurs dénoncés ! . (L'esprit du vin)
«Si les hommes avaient l'intuition, même la plus fugitive, de la vie secrète et des agissements de bien des mots et des locutions qu'ils emploient, ils en seraient saisis d'horreur comme devant un aspic.» écrivait Canetti Sans doute alors pourrait-on commencer d'entr'apercevoirqu'il faut
«Laver l'encre au vin rouge pour distraire les enfants qui se battent dans la cour Serpent, serpent des mots, serpent de lumière liant la terre et le ciel, coulée des mots, coulée du vin : l'ivresse même légère fait tomber les résistances du Sur Moi et lâche la bonde au démon de l'analogie «Prétez l'oreille non pas aux commérages «A l'intérieur de la lettre A germe le doigt sur les lèvres car le B s'abat sur la tête du C qui éclate et répand autour d'elle une odorante résine d'où s'échappent des soupirs gravissant quatre à quatre les échalas du désir cependant que le D ivre titube et s'écroule dans un escalier abrupt» P éret (Feu central) Racines, mais aussi n «La souche est une poigne qui empêche à toute eau de monter jusqu'aux grains. Elle tord en sa racine, des sèves quintessenciées» (Bachelard) Ne montera donc que le suc le plus subtil. Tordu, têtu comme «un ceppu» dit-on en Corse. La vigne est aussi Le vin a donc une force cosmique unissant le sang et l'or, l'homme au cosmos. L'or solaire entre dans la grappe qui mûrit, et le vin est aux deux pôles des transmutations, Le vin est le symbole reconnu de la pierre des philosophes, métaphore magnifique de l'»or du temps» que Breton cherchait. Cette métaphore n'a de sens que si l'on ne s'arrête pas à la joliesse de l'image, que si l'on sent que derrière chaque opération, elle propose une véritable transmutation Inutile d'arroser, la vigne s'arrose d'elle même
(Le vin des amants ) «
Toi bel après-midi escorté de légendes La geste de l'homme en sa vie, sa quête unique, la seule qui vaille qu'on vive, est celle de l'amour.
Il est Rosa moins Rosa
Péret Source ( Je sublime p. 138) Boire à la femme qu'on aime, unir en jeu la bouteille et la femme, le contenant et le contenu, le désir et ses mots. Ainsi Magritte avec ses bouteille peintes. Qui l'ayant lu n'a pas venant aux lèvres dans un moment d'émotion ténue, tant est violente sa force «Ma femme aux épaules de champagne» de Breton, que dans un joli lapsus Guy Girard avait transformé en «ma femme aux fesses de champagne» (...
Ma femme aux épaules de champagne Et, Sur la route de San Romano, entendons-le encore
Elle a l'espace qu'il lui faut Conclusions provisoires : (151) J'aimerais être ivre comme une charpente dont le toit s'est envolé (Minute, 266) --- NE ME DEMANDEZ PAS ... si le bouteille contient un message où l'on ne déchifre que le mot éternellement (281) Comme
... Il est vrai que vous vous en foutez Poème, je vous demande un peu?
Je vous demande un peu d'or pour être heureux avec celle que j'aime.
Annexe : (textes prévus mais non lus) le «vin de la terre»...
Le «Vin de la terre» m'a marqué du signe indélébile du brouillard
FÊTE-DIABLE
Elle se dirige vers le voyageur qui la regarde venir. La bouteille à la rivière
Derrière un mur hérissé de tessons de bouteilles, |